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D'une vie tout aventureuse, qui la conduisit d'un Versailles d'autrefois au vibrant Brésil en passant par le sud bohème de la France d'après-guerre, avant de la ramener près de trente ans plus tard dans l'effervescence artistique de la Cour des Industries du faubourg Saint-Antoine à Paris, Isabelle Rochereau conservera toujours son amour des mystères et son goût pour les appels secrets. Ses sculptures en témoignent, et nous familiarisent avec les alchimies d'une conscience et d'une sensibilité à fleur d'absolu. Son oeuvre est tout imprégnée de cet exigeant dialogue entre la forme et le mouvement, la danse et le mime, l'élan de la lumière et l'évanouissement des ombres. Ainsi façonne-t-elle la haute chanson de geste de modestes matériaux abandonnés au bord de chemins oubliés ou d'obscures impasses, avec leur pauvre destin cabossé de fossés perdus et de douloureux bas-côtés, bois flottés, bouts de tôles rongées par la rouille, verres lépreux, - voici ses chers amis, vieux fantômes à peine survivants de folles tragédies et des mille tempêtes de la vie, auxquels son inspiration tumultueuse va redonner souffle et ardeur. Qu'il nous suffise ici de donner au hasard quelques titres de ses stèles, Licorne liquide, Voyageur silencieux, Témoin tropical, Au-delà de la mémoire, Stupeur après l'orage, pour mesurer combien l'artiste privilégie l'évocation narrative de ses aspirations dont les sculptures font un puissant récit. N'avait-elle pas appelé Don Quixote l'un de ses tout premiers ateliers à São Paulo ? C'est dire qu'elle plaçait son inspiration sous le signe des contes, — le pâle chevalier à la triste figure lui indiquant moins un ailleurs impossible que l'incessante quête obstinée de sa propre intériorité, sur le chemin étoilé d'une intime forêt. Les oeuvres sont alors autant d'étapes méditatives sur cette route toujours nouvelle et improbable, dont Michel Cazenave a soupçonné les brûlants paysages entre mythes et légendes, lorsque les divinités questionnent la torturante énigme de l'invisible. Isabelle Rochereau chorégraphie cet ample ballet des secrètes métamorphoses, réconciliant les paradoxes qui érodent nos consciences, entre profane et sacré, lumières et ténèbres, en une vertigineuse initiation à la foudre et aux tempêtes, nous invitant à déchiffrer le palimpseste de nos terreurs et de nos désirs.

Jean-Paul CHABRIER

« Etre vivant, cela suffit »

Regardez bien son visage. Elle a le regard acéré, une vivacité implacable sous des airs de fausse lassitude. Voici Isabelle Rochereau de la Sablière, une aristocratie qu'elle ne revendiquait pas, préférant à la particule, ses passions pour la sculpture, le dessin, l'écriture, le théâtre et le mime. Petite dans les années 30/40, c'est pourtant dans sa pesante famille versaillaise qu'elle a puisé, rebelle, son avenir de saltimbanque baroudeuse, de haillons en robes de princesse, selon les hasards de la vie. Au départ n'était pas le verbe mais les émotions, dans la peinture d'un père conformiste et d'une mère pianiste à l'absence hautaine, des hobbies dominicaux de dilettantes de la bonne société. A la longue, il paraît que ça incite à la fugue. Surtout quand, dans la campagne environnante, on découvre les arbres, les pierres et les bouts de ferraille pour y voir des formes, des allures que les autres ne perçoivent pas ; le plaisir toujours renouvelé de soulever les jupes du quotidien. Isabelle a pris la route, un jour, pour s'enfuir de l'âcreté familiale au gré de ses élans : Avignon, Cannes, Paris encore, et toutes les célébrités qui vont avec, installée ou en partance, fréquentées ou croisée, comme Decroix, Jouvet, Dullin, Renaud et Barrault, Breton, Vian, Greco, jolie compagnie, de quoi se faire une idée des choses et des gens. Et de laisser quelques traces. Comme le séduisant Portugais qui lui fit découvrir le Brésil, s'y installer longtemps, un peu par dépit, beaucoup par rencontres. Isabelle y a fignolé son travail de la ferraille en découvrant, soudeuse derrière le masque de mica, “le son et le parfum unique de l'acétylène magique” qui mélange encore le fer, le bois, la pierre et le surréalisme. D'émois de femme debout en fulgurances artistiques, de coup d'état militaire en urgences familiales, l'artiste artisane reviendra à Paris, nourrissant un curriculum devenu prestigieux. «Je pars quand j'arrive” dit l'une de ses sculptures. Découvrez “Elle”, la cavalière tranquille et vaguement frimeuse, l'enfantement déchireur dans “Le secret”, la “Gardienne d'une forêt” qu'il faut séduire : c'est acéré, anguleux et rond comme l'humain avec l'humour ironique qui va avec dans «stupeur après l'orage”. “J'ai une tendance à créer des survivants” disait-elle, on le perçoit dans le “Locataire immémorial” comme si elle conseillait de s'extirper de la gangue d'un monde trop vulgaire, visage muet, justement, pour que vous osiez y mettre un regard et une âme…les siens et les vôtres, spectateur. Isabelle Rochereau de la Sablière vous observe… encore. “Etre vivant, cela suffit”.

MASOCH